Blasphème et apostasie, laïcité et athéisme : La situation au Québec et au Canada

Le Canada n’est pas un pays laïque, c’est-à-dire que la constitution et les lois du pays comportent toujours beaucoup d’ingérence religieuse. Nous sommes loin de faire une nette séparation entre religions et État. Toutefois, la population n’est pas très religieuse. Les sans-religion sont de plus en plus nombreux et, parmi les croyants, les non-pratiquants sont nombreux aussi.

La sécularisation de la société canadienne et la laïcisation de ses institutions publiques sont grandement compromises, voire bloquées, par deux faits incontournables :

(1) Le multiculturalisme, c’est-à-dire le communautarisme, est l’idéologie officielle du gouvernement fédéral. Cette politique, que l’on confond souvent avec la simple diversité culturelle, mais qui resemble davantage au relativisme culturel, a comme conséquence que l’identité ethno-religieuse de chaque individu devient plus importante que sa citoyenneté, surtout pour les minorités. Cette idéologie est une vache sacrée au Canada, véhiculée comme une solution au racisme mais qui a plutôt l’effet inverse de créer des divisions.

(2) Les « deux solitudes » canadiennes, c’est-à-dire l’importante rupture entre les deux groupes linguistiques, les francophones, majoritaires au Québec seulement, et les anglophones, majoritaires partout ailleurs. Dans la mesure où la laïcité obtient de l’appui au Canada, le type de laïcité est très différent dans ces deux groupes. Au Québec c’est la laïcité républicaine (ou laïcité tout court) de tradition française qui est préférée, tandis que dans le reste du Canada c’est le sécularisme lockien (c.f. John Locke) de tradition anglaise, une forme tronquée et incomplète de laïcité où il n’y a pas de séparation entre État et religions, et la neutralité de l’État est interprétée comme une égalité entre les diverses religions concurrentes, non pas l’égalité entre religion et irréligion. La primauté dont jouit le sécularisme de type anglais divise et limite sérieusement tout mouvement de laïcisation.

Je dirais que le sécularisme lockien est à la laïcité ce qu’est l’astrologie à l’astronomie, ou ce qu’est l’alchimie à la chimie. C’est une version surannée et arriérée de la laïcité, mais à laquelle on s’attache tout de même pour des raisons d’ethnocentrisme anglais. Même beaucoup d’athées au Canada, surtout hors Québec, adhèrent à cette interprétation où l’on accorde une priorité à la croyance, au détriment de l’incroyance.

Notons en particulier que le multiculturalisme est tout à fait incompatible avec la laïcité républicaine. D’ailleurs, c’est une des raisons qui expliquent la popularité du multiculturalisme à l’extérieur du Québec : cela permet de se donner bonne conscience en dénigrant les Québécois, en les traitant de xénophobes.

Pour constater l’ingérence religieuse dans la législation canadienne, considérons ces quelques lois fédérales. Le préambule de la constitution de 1982 débute par la reconnaissance de « la suprématie de Dieu et la primauté du droit ».[1] Dans le Code criminel du Canada, le paragraphe §296 criminalise le soi-disant « Libelle blasphématoire ».[2] Également dans le Code criminel, dans la loi contre la « Propagande haineuse », il y a une exception religieuse §319(3)b) qui accorde l’impunité à quiconque a « exprimé une opinion sur un sujet religieux ou une opinion fondée sur un texte religieux auquel il croit ».[3]

De plus, il existe une « Loi sur le multiculturalisme canadien » qui favorise les diverses langues, religions et pratiques culturelles particulières, au détriment de valeurs civiques partagées.[4] Enfin, le Règlement sur la citoyenneté §17(1)b) stipule que les juges doivent accorder « la plus grande liberté possible pour ce qui est de la profession de foi religieuse » lors de l’assermentation à la citoyenneté.[5] Toutes ces dispositions constituent des privilèges accordés aux religions et aux croyants, au détriment des incroyants.

D’ailleurs, notre sex-symbol national, Justin Trudeau, a la bizarre habitude de fréquenter, en tant que premier ministre, des lieux de culte commes des mosquées et des temples sikhs, parfois enfilant un costume de la religion du lieu, évidemment dans un but clientéliste, c’est-à-dire pour gagner des votes de ces communautés. Cette pratique hautement antilaïque est considérée par les tenants du multiculturalisme comme super-cool et la preuve de sa bonté et de son ouverture à la sacro-sainte « diversité ».

Récemment, un chef religieux de la secte musulmane ahmadie a visité le Canada. Les autorités canadiennes ont permis – à lui et à ses coreligionnaires – de faire une séance de prière à l’intérieur même du parlement canadien !

Au Québec, les choses se passent un peu différemment, mais les forces du communautarisme exercent une pression énorme dans le but d’étouffer cette particularité québécoise. En 2013, le gouvernement québécois de l’époque a proposé une charte qui aurait établi la laïcité formelle de l’État québécois. Cette charte a rencontré une opposition féroce, surtout des islamistes et des multiculturalistes, qui étaient des alliés objectifs. C’est surtout la prohibition des signes religieux portés par des fonctionnaires qui a rencontré la plus forte résistance. Au Québec la presque totalité des groupes laïques (y compris notre association LPA) ont appuyé cette charte tandis que, en dehors du Québec, la plupart des gens prétendument laïques s’y opposaient (mais heureusement pas tous).

La Charte de la laïcité est morte lorsque ce gouvernement a été défait en avril 2014, surtout à cause de son projet de souveraineté, mais la population québécoise demeure fortement favorable à la laïcité. Le nouveau gouvernement alors élu et toujours au pouvoir est celui du Parti libéral du Québec, un parti de droite, malgré son nom, qui prône l’austerité économique et qui s’oppose à la laïcité avec acharnement. Le chef de ce parti, le premier ministre Philippe Couillard a même déclaré que l’intégrisme est une affaire privée et ne nuit à personne.

Ce gouvernement a proposé deux projets de loi fortement antilaïques. En 2015 le projet de loi 59 devait prohiber « les discours haineux et les discours incitant à la violence » avec des procédures de nature inquisitoriale et ce, malgré le fait qu’il existe déjà au Canada une loi contre la propagande haineuse. Cette proposition de loi, qui s’accompagnait d’un langage contre la soi-disant « islamophobie », ne plaisait à presque personne sauf aux intégristes musulmans et a heureusement été retiré en 2016.

Aussi proposé en 2015, le projet de loi 62, pour sa part, prétend instaurer une certaine « neutralité religieuse de l’État », interdire les couvre-visage dans la fonction publique et encadrer les « accommodements religieux ». Mais cet encadrement est tellement flou et vague que, en fin de compte, à peu près tout signe religieux est permis, y compris le voile intégral. L’adoption de cette loi demeure encore possible, voire probable.

Nous, de l’association Libres penseurs athées, comme plusieurs autres associations pro-laïques, avons présenté un mémoire[6] à la Commission parlementaire chargée d’étudier ce projet de loi 62.

Au Canada la liberté d’expression est menacée par trois motions parlementaires condamnant la soi-disant « islamophobie », un terme qui fait le bonheur des islamistes en stigmatisant la critique de l’islam. Selon Fatima Houda-Pepin, une ancienne députée du PLQ expulsée pour avoir appuyé la laïcité, le but de ce terme est de « faire taire toute réforme interne à l’islam ou tout questionnement en lien avec les mouvances islamistes radicales, à l’œuvre en Occident, afin de leur permettre d’avancer leur programme politique en toute impunité. »

Ces trois motions sont:

  • 2015-10-01 : Assemblée Nationale du Québec, motion de la députée Françoise David. Adoptée.[7]
  • 2016-10-10 : Parlement du Canada, motion du député Thomas Mulcair. Adoptée.[8]
  • 2016-2017 : Parlement du Canada, motion M-103 de la députée Iqra Khalid. En cours.

Aux lendemains de l’attentat terroriste contre les caricaturistes de Charlie Hebdo, nous avons émis un communiqué[9] soulignant l’importance d’abroger toute loi anti-blasphème afin de nier catégoriquement toute légitimité de censure, violente ou autre. Au Canada il est bien possible que le paragraphe §296 mentionné plus haut soit abrogé dans un proche avenir.[10]

Mais si la Motion M-103 est adoptée, il y a le risque très réel que cela constitue une étape vers l’adoption future d’un nouveau délit de blasphème.[11] Cette nouvelle loi serait pire que l’actuelle, car elle privilégierait une religion en particulier, l’islam, au détriment des autres, suscitant ainsi des conflits interreligieux. De plus, tandis que la loi actuelle est tombée en désuétude, l’application assidue de la nouvelle serait assurée par une armée de fanatiques islamistes. Il est très probable que la M-103 soit effectivement adoptée, car ses partisans instrumentalisent la tuerie dans la mosquée de Québec, le 29 janvier 2017, pour la promouvoir.

Sur une note plus positive, la décision du 15 avril 2015 de la Cour suprême du Canada[12] a été une grande victoire pour la laïcité. Cette décision a :

  • Interdit la prière lors des conseils municipaux.
  • Affaibli la mention « suprématie de Dieu » dans la constitution canadienne.
  • Reconnu que la liberté de croyance doit inclure implicitement la liberté d’incroyance.
  • Reconnu que l’État et ses agents doivent être neutres par rapport aux religions (sans trancher sur la question des signes religieux portés par ces agents).

Parmi les dégâts causés par le multiculturalisme acharné, peut-être le plus célèbre est la triste victoire de Zunera Ishaq, une fanatique islamiste qui a gagné, devant la Cour fédérale, le « droit » de porter le niqab lors de la cérémonie de citoyenneté,[13] grâce à la Loi sur le multiculturalisme canadien[4] et le Règlement sur la citoyenneté.[5] Les gens qui se sont opposés à cette décision, qui aurait préféré une prohibition des couvre-visage dans ces cérémonies, se sont fait traiter de « racistes » par deux des trois principaux parti politiques fédéraux.

Justin Trudeau est un fervent promoteur de la « diversité » comme vertu absolue, et cette diversité si vantée inclut bien sûr une certaine diversité religieuse ostentatoire. Trudeau est très fier de son cabinet, avec deux ministres enturbannés. Mais moi, je vois cela plutôt comme une entorse à la laïcité.

Chez les partisans du multiculturalisme, le dénigrement de la laïcité républicaine, et de ceux et celles qui la prônent, est de rigueur. Justin Trudeau compare les pro-Charte de la laïcité aux pro-Trump. Lui et bien d’autres prétendent que cette Charte ait été une cause de la tuerie en janvier 2017. Cela fait que les pro-laïques sont accusés d’être complices du meurtre ! Les gens qui critiquent la motion M-103 sont accusés d’être de droite ou même d’extrême-droite.

Vous savez sans doute que l’apostasie est interdite dans l’Islam, même avec la peine de mort dans certains pays. Selon Youssef al-Qaradâwî, théoricien des Frères Musulmans, cette interdiction serait nécessaire à la survie de l’islam. Selon le Pew Forum, des millions de musulmans dans le monde appuient la peine de mort pour apostasie.[14]

Au Canada, le droit d’apostasier est protégé bien sûr, car la liberté de conscience est garantie. Toutefois, l’appui obsessif de la plupart des parti politiques pour le multiculturalisme ainsi que l’étiquetage des gens par leur religion qui en résulte constituent une négation partielle de cette liberté, et rend l’apostasie plus difficile pour les musulmans qui pensent à quitter cette religion. L’interdiction de l’apostasie est la négation absolue de la liberté de conscience. Le multiculturalisme est une version légère de cela, favorisant les intégristes.

Vous connaissez peut-être le « philosophe » canadien, catholique et anti-laïque, Charles Taylor. En 2007 il a reçu le très généreux Prix Templeton qui récompense la promotion de la religion dans la vie publique et est donc anti-laïque. Presque simultanément, il a été nommé co-président de la Commission Bouchard-Taylor chargée d’étudier la laïcité et les accommodements religieux au Québec. Il se trouvait donc dans un conflit d’intérêt. Une des recommandations de cette Commission était d’interdire les signes religieux portés par les agents en autorité (police, juges, etc.) Or, tout récemment, à la suite de la tuerie à Québec, Taylor a répudié cette recommandation modeste et, comme bien d’autres, il a répété cette allégation diffamatoire selon laquelle le débat autour de la Charte de la laïcité serait une cause de la tuerie. Au Québec, si vous êtes pour la laïcité, on vous accuse de xénophobie, de racisme et même de complicité de meurtre !

David Rand

Président, Libres penseurs athées – Atheist Freethinkers

Montréal, Québec, Canada

Bienvenue chez Libres penseurs athées

 

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